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Pourquoi nous devons réapprendre à manger

L’assiette - et ce qui s’y trouve - est devenue le symbole des inégalités qui ternissent nos sociétés. Il est grand temps que cela change, car nous avons tous à y gagner. Une opinion de Vincent Delcorps, rédacteur en chef de la Revue En Question.

C’est l’un des gestes les plus banals. Nous le posons chaque jour. À plusieurs reprises. Parfois en prenant le temps, en étant conscient, en profitant. Mais souvent machinalement, en étant ailleurs, sans goûter les saveurs. Chaque jour, donc, nous mangeons. Pour vivre et survivre, bien sûr. Mais aussi pour remercier, célébrer, féliciter. Ou, simplement, pour tromper l’ennui.

Reste que ce geste quotidien est aujourd’hui devenu problématique. Pour notre santé, tout d’abord. Dans les années 1960, l’Europe initia une politique visant à nourrir chacun de ses citoyens, et en particulier les plus défavorisés. Objectif : réduire les coûts. Noble cause, évidemment. Mais l’instrument était moins bon. La politique productiviste lancée alors continue de causer des dégâts. Sur l’environnement, notamment. Conçue avec l’idée de maîtriser la nature, elle commence à en épuiser les ressources. Dégâts sur nos organismes, aussi. Chaque jour, les pesticides et hormones de croissance, qui fondent notre modèle alimentaire, nuisent à notre santé. Paradoxe : la nourriture, censée nous donner la vie, est largement devenue ce qui la fragilise ! Les risques sanitaires se transforment en tragédies humaines. Sans compter l’aspect financier. Le coût pèse sur tous - individus comme collectivités. Et particulièrement sur les moins nantis, c’est-à-dire ceux… pour qui ce modèle a été conçu !

Mais la question de l’alimentation ne saurait être réduite à la réalité de celui qui mange. Manger est un acte profondément relationnel, qui met en lien celui qui se nourrit à ceux, nombreux, qui le nourrissent. Les produits qui se trouvent dans l’assiette… ont bel et bien été produits par d’autres. Ils ont été semés, tués, découpés, pesés, emballés, acheminés, rangés, vendus… L’ensemble de ces actes ont été posés - ou à tout le moins pensés - par des personnes. Tout, dans l’assiette, nous rappelle qu’on a besoin des autres pour vivre.

Qui sont ces autres ? Le plus souvent, nous l’ignorons. Car ils sont lointains, anonymes. Noyés derrière de grandes enseignes, ils sont, au fond, inexistants. Ne serait-il pas temps de les faire sortir de l’ombre ? De s’intéresser à eux - à leurs conditions de travail et de vie ? Savons-nous qu’une partie importante des personnes qui souffrent de faim dans le monde sont… des paysans ? Faut-il pour autant produire plus ? Non : un tiers de la nourriture produite chaque jour est perdue. Le constat est implacable : notre planète ne compte pas trop d’individus, mais (beaucoup) trop d’inégalités.

Agriculteurs doublement victimes

Et chez nous, que savons-nous de la réalité des agriculteurs ? À l’ère du "vert", il est devenu de bon ton de les critiquer. Ils seraient les pollueurs, coupables de tous les maux, incapables de modifier leur manière de travailler. Et pourtant, ils sont d’abord des victimes. Contraints de se soumettre aux diktats de l’agro-alimentaire. Et de vendre leurs produits aux prix qui leur sont imposés. Conséquence ? Le métier n’attire plus. Entre 2000 et 2018, dans notre pays, c’est pratiquement quatre fermes qui ont disparu… chaque jour !

Une transition se dessine pourtant. Tous, nous pouvons en être des acteurs. En faisant (autrement) nos courses. En privilégiant certains produits. En boycottant certaines marques. Facile ? Certainement pas. Parce que s’il y a des gestes qui sont évidents, le consommateur se trouve aussi confronté à des dilemmes : doit-il privilégier le bio ou le vrac ? Le local ou l’équitable ? La grande surface de proximité ou le lointain petit producteur ? Se pose aussi le problème du coût. À première vue, certains produits nocifs seront toujours moins chers que les légumes bio. À première vue… C’est là que le politique doit jouer son rôle. En assurant que le prix à la caisse soit un prix juste - c’est-à-dire répercutant l’ensemble des coûts. Et en garantissant qu’aux sirènes du court terme, sera toujours préférée la construction d’une société vraiment durable.

Source: La Libre